Le point de départ de la prescription pour l’abandon de déchets dangereux
Publié le 8 Sep 2022
Par Louise Dumont Saint Priest

Alors que deux consultations publiques sur les incidences environnementales de la gestion des déchets lancées par la Commission européenne, sont en train de s’achever [1], il n’est pas inutile de se pencher sur l’arrêt rendu le 12 avril dernier par la chambre criminelle de la Cour de cassation [2], venant clarifier le point de départ de la prescription concernant l’abandon de déchets dangereux.
Pour rappel, l’abandon de déchets est prohibé à la fois par le Code pénal et le Code de l’environnement et réprimé d’une peine de 2 ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende [3].

Dans cet arrêt, une société était poursuivie pour avoir déposé et abandonné des résidus de broyage automobile dans des sites non habilités à les recevoir entre le 1er janvier 2002 et le 31 janvier 2006, dans plusieurs communes du Calvados. Une association de protection de l’environnement dénonçait ces faits en 2008.
Une enquête était menée à l’issue de laquelle était proposée, le 4 février 2013, une comparution sur reconnaissance de culpabilité à l’entreprise qui la refusait. Cette dernière était donc citée devant le Tribunal correctionnel le 28 février 2014. Une association de défense de l’environnement se constituait partie civile.
Dans sa décision du 16 septembre 2014, le Tribunal correctionnel de Caen déclarait la constitution de partie civile irrecevable du fait de la prescription de l’action publique depuis les faits. Pour rappel, à cette époque, l’action publique était prescrite trois ans après la commission de l’infraction.
Les juges avaient alors considéré que ni la convocation à une CRPC, ni le procès-verbal de proposition de peine au titre de la CRPC, ne constituaient des actes interruptifs de prescription.
L’association interjetait appel des dispositions civiles du jugement du Tribunal correctionnel de Caen.
Par un arrêt du 24 février 2017, la Cour d’Appel de Caen estimait que la décision du Tribunal correctionnel était « définitive » et que « son autorité ne saurait être remise en cause par le seul appel de la partie civile dont l’action ne peut plus être portée devant le juge répressif» [4].

L’association se pourvoyait alors en cassation, soutenant que l’absence d’appel sur l’action publique, n’entachait pas le droit pour la partie civile de contester en appel l’acquisition de la prescription de l’action publique. Elle soulevait notamment qu’en s’abstenant de répondre aux conclusions de l’association contestant la prescription de l’action publique, la Cour d’appel avait privé sa décision de base légale.
Le 2 mai 2018, la chambre criminelle de la Cour de cassation cassait la décision rendue par la Cour d’appel au motif suivant : « si en vertu [de l’article 10 du Code de procédure pénale], la juridiction répressive ne peut connaître de l’action civile lorsque l’action publique est prescrite, le droit d’appel conféré par le second à la partie civile comprend celui de contester l’acquisition de la prescription de l’action publique retenue par les premiers juges » [5].

La Cour de cassation jugeait ainsi qu’il était possible pour une partie civile, par la voie de l’appel de contester l’acquisition de la prescription de l’action publique. La Cour de cassation renvoyait alors l’ensemble des parties devant la Cour d’appel de Caen, nouvellement constituée.
La Cour d’appel de renvoi se prononçait à nouveau sur la prescription de l’action publique et rendait une décision différente de celle décidée en première instance par le Tribunal correctionnel de Caen.
Ainsi, elle rappelait que si le point de départ du délai de prescription devait être fixé au jour de la commission de l’infraction, il en allait différemment pour les infractions occultes ou dissimulées, dont le point de départ de la prescription court à partir du moment de leur découverte.
Les juges du fond relevaient alors qu’en l’espèce, le dépôt illégal des déchets présentait un caractère occulte en ce qu’une partie des déchets avait été enfouie, d’autres dissimulés sous une quarantaine de centimètres de remblais sur un terrain destiné à être cultivé, tandis que d’autres constituaient eux-mêmes des remblais. L’existence de ces déchets ne pouvait donc qu’être ignorée par les utilisateurs de ces terrains.
Par conséquent, le point de départ de la prescription devait en l’espèce être fixé au mois d’octobre 2008, date de la dénonciation des faits par l’association de défense de l’environnement concernant l’un des
sites, menant à la découverte des déchets sur d’autres sites [6].
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La société mise en cause se pourvoyait à son tour en cassation. Elle soutenait que l’article 9-1 du Code de procédure pénale relatif à la prescription concernant les infractions occultes et dissimulées, n’était entré en vigueur que postérieurement aux faits de l’espèce. La requérante estimait que cet article ne pouvait donc pas s’appliquer, sans méconnaître l’article 112-4 du Code pénal relatif à l’application immédiate de la loi nouvelle et son absence d’effet sur la validité des actes accomplis conformément à la loi ancienne. La société estimait dès lors que la prescription devait être considérée comme acquise.
La chambre criminelle, dans sa décision du 12 avril 2022, rejetait le pourvoi et jugeait que : « le délai de prescription de l’action publique ne commence à courir, en cas de dissimulation destinée à empêcher la connaissance de l’infraction, qu’à partir du jour où celle-ci est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant l’exercice des poursuites » [7]. Il n’était pas répondu à l’argument relatif à l’application rétroactif de l’article 9-1 du Code de procédure pénale, soulevé par les requérants.
La chambre criminelle confirmait ainsi que le point de départ devait être fixé au mois d’octobre 2008, date de dénonciation des faits par une association de défense de l’environnement. Elle renvoyait l’affaire devant la Cour d’appel de Caen nouvellement constituée.
Cette saga judiciaire prenait ainsi définitivement fin devant la Cour d’appel de Caen qui, sur renvoi, se conformant à l’arrêt de la chambre criminelle, jugeait que le point de départ de la prescription devait être fixé au mois d’octobre 2008, date de la dénonciation des faits. Ce délai était interrompu par la convocation de la société Guy Dauphin à une CRPC le 4 février 2013 : la
prescription de l’action publique n’était donc pas acquise. Dès lors, la partie civile pouvait se prévaloir d’une faute civile engageant la responsabilité de la société Guy Dauphin. L’action de l’association était in fine considérée comme étant recevable et la société déclarée responsable du dommage causé.