A la barre

Un meurtre, un faux cambriolage et des aveux irrépressibles

Le procès en appel de Christine D. s’ouvre ce lundi devant la cour d’assises du Val-de-Marne. Accusée d’avoir tué son conjoint, la quinquagénaire a tenté de dissimuler le crime avant de se confier à un inconnu et à des proches quelques heures plus tard.
par Julie Brafman
publié le 14 avril 2019 à 19h16

Ce 22 septembre 2015, Christine D. a rangé les oreillers maculés de taches rouges et son peignoir rose dans un sac. Elle a fait le tour de la maison, s’emparant des bijoux, des téléphones, de la console de jeux. En avisant le portefeuille de son mari, elle s’est dit qu’il fallait le prendre aussi. Ensuite, elle a renversé les meubles, ouvert les tiroirs et répandu des objets sur le sol comme une tornade au ralenti. Peut-être, à ce moment, s’est-elle regardée en train de chahuter son univers si bien rangé, peut-être a-t-elle hésité en contemplant une babiole familière qu’elle expédiait sur le plancher ? Mais Christine D., en guerrière organisant son champ de bataille, n’a pas flanché. Elle a tout envoyé valser. Chaussée des baskets pointure 40 de son mari, elle a laissé des empreintes un peu partout avant de nettoyer les traces de sang sur le canapé. Enfin, pour parfaire son œuvre, elle a ouvert la baie vitrée en grand. Voilà, c’était un cambriolage.

A présent, il fallait jeter le butin, jeter l’arme du crime, jeter les habits tachés. Tout faire disparaître. Alors elle est partie avec son gros sac blanc sous le bras et a roulé jusqu’aux bords de la Seine, à Ris-Orangis (Essonne). Pourquoi a-t-elle soudain fait volte-face ? Pourquoi a-t-elle choisi ce type en train de déjeuner tranquillement dans sa camionnette garée près de l’eau ?

Christine D. s'est approchée de l'inconnu, lui a demandé d'une voix paniquée s'il pouvait garder un secret. Sans attendre la réponse, elle a déclaré : «Mon mari me tapait, c'était un salaud… Je l'ai tué et j'ai jeté son corps.» Son interlocuteur, effaré, a démarré en trombe. Direction le commissariat d'Evry. A l'accueil, il a décrit cette jolie femme de 1,70 m à la longue tignasse blonde bouclée, au visage bronzé «comme si elle sortait d'une séance d'UV» conduisant une Citroën blanche décapotable. Celle qui sera jugée en appel, à partir de ce lundi devant la cour d'assises du Val-de-Marne après avoir écopé de dix-huit ans de réclusion criminelle en première instance. Les jurés vont, à nouveau, se pencher sur un mystère : une cadre commerciale sans histoire qui comparaît pour «meurtre sur conjoint». «Une mère de trois enfants, une femme forte et indépendante qui a toujours tout pris sur elle», comme la décrivent ses deux avocates, Mes Léa Dordilly et Louise Dumont Saint Priest. Une accusée de 54 ans, qui a d'abord caché son crime avant de l'avouer frénétiquement.

Ce 22 septembre 2015, les enquêteurs l'ont interpellée une heure trente après sa confession des bords de Seine, au volant de sa voiture. Silhouette amaigrie vêtue d'un jean et d'un body à petites fleurs bleues, le visage ravagé par les larmes et des traînées de mascara, Christine D. confirme immédiatement : oui, elle a tué son mari. Avec une statue qu'elle a jetée dans la Seine, précise-t-elle. Les enquêteurs se rendent aussitôt dans sa maison d'Evry, un quatre pièces en duplex dans un immeuble. Christine D. n'a pas menti : sur le canapé du salon, au milieu du capharnaüm, gît un corps nu recouvert d'un plaid. Didier J. avait 57 ans et cinq enfants. Il venait d'être embauché en tant que conseiller en prêts immobiliers après une longue période de chômage. Le médecin légiste conclura à un décès par «traumatisme crânio-facial» sans être capable de préciser le nombre de coups.

Conte gothique

Durant la matinée, la suspecte a semé les mots comme des cailloux. En l'espace de quatre heures, celle qui a d'abord envisagé de rendre son crime indétectable s'est épanchée auprès de quatre personnes. On repense à ce conte gothique d'Edgar Allan Poe dans lequel le héros tue son ennemi grâce à une chandelle empoisonnée. Alors que tout le monde croit à une mort naturelle, le narrateur grisé par son impunité, répète à l'envi ce doux refrain : «Je suis sauvé.» Jusqu'à ce qu'il se surprenne à envisager : «Pourvu que je ne sois pas assez sot pour confesser moi-même mon cas !» Finalement possédé par un «démon invisible», il ne parvient plus à résister : «Le secret si longtemps gardé s'élança de mon âme.» De la même façon, Christine D., soudain incapable de garder bouche close, va livrer des aveux en série. Ses déclarations, jamais identiques, se lisent comme plusieurs nuances d'un même geste et aboutissent à une étonnante procédure chorale, où chacun de ses confesseurs narre aux enquêteurs un pan de l'histoire.

C'est d'abord Inès (1), 15 ans, qui va raconter la scène en creux, une sorte d'ellipse criminelle. Ce matin-là, elle prend son petit-déjeuner avec sa mère et remonte se préparer. Vers 7 h 20, elle entend un cri «comme quand on se fait mal». Quand elle allume la lumière et descend l'escalier, Christine D. lui ordonne de regagner sa chambre. Quelques minutes plus tard, elle lui dit «Ferme les yeux, je ne veux pas que tu voies», en traversant le salon pour la conduire à l'école. A son retour, Christine D. téléphone à Guy son ex-mari, le père de ses trois filles, pour lui demander de venir en urgence. Là, sur le pas de la porte, elle lui déclare : «Je l'ai tué. […] Ça fait quatorze ans qu'il me fait chier.» Puis elle appelle sa responsable, mentionne «un problème personnel» l'obligeant à s'absenter, et file chez sa mère, à Draveil. Sa fille Betsy, 24 ans et Lucienne, sa mère, la voient arriver, éplorée. Elles vont décrire aux enquêteurs ce moment où les trois générations sont installées dans la chambre du fond et Christine D., tremblante, leur raconte tout : comment elle vient de «fracasser» la tête de Didier avec une statue, comment elle a maquillé la scène en cambriolage «parce qu'elle était sûre que tout le monde la prendrait pour une folle». Elle lui avait annoncé qu'elle voulait divorcer. «Didier aurait dit à ma mère qu'il allait tuer sa progéniture ou quelque chose comme ça», témoigne Betsy. Christine D. a demandé aux deux femmes de lui laisser jusqu'au soir pour se dénoncer. Et elle est repartie.

Détonateur

«J'ai eu tellement peur qu'il s'en prenne à ma fille Inès, poursuit-elle en garde à vue. Hier soir, il m'a dit qu'il allait nous planter toutes les deux, "moi et ma vermine". Qu'il allait le faire la nuit, qu'il allait nous "planter" car l'arsenic c'est trop long.» Selon son récit, quand il s'est réveillé, Didier a réitéré ses menaces au sujet d'Inès : «Elle n'est pas morte, ça ne devrait plus tarder.» Christine D. décrit le long couteau au manche de bois dans la main de son mari, les pas de sa fille qui résonnent dans l'escalier. La lumière qui s'allume. L'interrupteur qui agit comme un détonateur. «Je l'ai frappé. […] Il restait debout, je l'ai encore frappé puis il est tombé sur le canapé. J'ai mis un drap et un oreiller sur lui. Il ne bougeait plus.» C'est après avoir emmené Inès à l'école qu'elle a décidé de faire croire à un cambriolage. «Un délire total», «l'instinct de survie», déclarera-t-elle. Néanmoins, dans sa seconde audition, Christine D. gomme un détail, celui qui aurait pu la placer en situation de légitime défense, celui qui offrait la rassurante promesse d'une explication à son geste. En fait, il n'y avait pas de couteau. Juste des mots tranchants : «Je vais vous faire du mal.» Le 24 septembre 2015, elle est mise en examen et incarcérée à Fleury-Mérogis.

Près d’un mois plus tard, un plongeur surgit des eaux sombres de la Seine en brandissant une statue en verre haute de 39 centimètres et pesant près de 4 kilos. Elle représente un couple enlacé, deux silhouettes aux traits indistincts portant un petit chapeau. C’est un cadeau de mariage offert par les patrons de Christine D. C’est surtout l’arme du crime, certainement l’une des plus symboliques des annales judiciaires.

Qu'est ce qui explique ce déchaînement de violences ? Si, dans son arrêt de renvoi, le juge d'instruction évoque une «intention homicide voulue, maîtrisée et déterminée». Christine D., elle, peine à en livrer la clé, expliquant qu'après quatorze ans de vie commune, elle ne supportait plus les remarques désobligeantes, les insultes, la jalousie excessive de son époux. Dans son agenda, elle avait noté à la date du 1er septembre : «Je demande le divorce», suivi de la réaction menaçante de Didier. «Mme D. serait passée à l'acte, dans le cadre d'un raptus anxieux, c'est-à-dire d'un paroxysme anxieux, favorisé par l'accumulation des menaces à son égard et concernant sa fille, qui était dans l'appartement à quelques mètres à cet instant», estime le psychiatre.

Fleurs séchées

Les tourments du couple n'étaient un secret pour personne. Dans leur entourage, on décrit une relation passionnelle, fusionnelle, des disputes incessantes, on les compare à des adolescents à l'humeur fluctuante et l'amour bagarreur. Lucienne, sa mère, insiste : «C'était un couple de dingue, je savais que cela se terminerait en tragédie. C'était un hyper jaloux, un malade, il n'appréciait pas qu'elle ait le moindre contact avec une personne autre que lui.» Pour autant, aucun proche de Didier - ni même Inès qui s'entendait très bien avec son beau-père - ne le décrit comme violent physiquement. Contactés par Libération, les avocats des parties civiles n'ont pas souhaité s'exprimer.

Dans l'attente de son procès, Christine D. noircit des pages et des pages de son écriture serrée. Elle les adresse à sa «maman douce comme la mousse», à son papa, à ses «trois merveilles», leur narre les petites victoires sur la grisaille de la taule, tente de décrire d'un ton léger son quotidien entre les murs et colle, dans chacun de ses courriers, des fleurs séchées ramassées dans la cour de la prison. Quand elle se regarde dans le miroir de son acte, elle peine à se reconnaître. «C'est innommable», dit-elle à la psychologue. «En première instance, Christine D. a pleuré pendant cinq jours, elle n'a pas réussi à parler, évoquent ses avocates. Aujourd'hui, elle voudrait demander pardon, pouvoir s'exprimer, raconter ce que c'est d'être une femme irréprochable, avoir un bon boulot, des amis, une famille soudée et soudain de basculer. Elle espère être entendue».

(1) Le prénom a été changé.

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