Arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation du 10 septembre 2025, n°24-87.146.
Dans la présente affaire, le requérant contestait le refus de la chambre de l’instruction de constater la prescription partielle de faits de prise illégale d’intérêts, fondé sur le fait que l’infraction avait été dissimulée et que la prescription n’était donc pas acquise. La Cour de cassation est donc venue livrer une analyse de la caractérisation de la dissimulation en la matière.
En l’espèce, le requérant avait connu, dans le cadre de fonctions publiques qu’il exerçait alors, de questions relatives à une société. Or, il apparaissait qu’il entretenait des liens de famille étroits avec cette même société. Plusieurs articles de presse ont conduit le Parquet national financier à ouvrir une enquête préliminaire en juin 2018, qui fut cependant classée sans suite pour infraction insuffisamment caractérisée. Une association de lutte anti-corruption a porté plainte avec constitution de partie civile en juin 2020 pour prise illégale d’intérêts et trafic d’influence.
Une information judiciaire fut ouverte et le requérant fut mis en examen « pour avoir pris, reçu ou conservé directement ou indirectement un intérêt de nature compromettre son impartialité, son indépendance ou son objectivité dans une entreprise dont il avait la charge d’assurer même partiellement l’administration ou la surveillance », sur une période allant de 2009 à 2016.
C’est dans ce cadre que le requérant a formé une demande de constatation de la prescription partielle de l’action publique, soit pour les faits antérieurs au 1er mars 2014. En effet, la prise illégale d’intérêts est un délit puni à l’état simple de cinq ans d’emprisonnement et de 500 000 euros d’amende[1], et l’article 8 du Code de procédure pénale prévoit un délai de prescription des délits de six ans à compter du jour où l’infraction a été commise. Toutefois, la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris a confirmé l’ordonnance du juge d’instruction qui refusait de faire droit à la demande de l’intéressé dans un arrêt du 26 novembre 2024. C’est cette décision qui était contestée devant la Chambre criminelle de la Cour de cassation.
Pour fonder le rejet de la demande en constatation de la prescription, la chambre de l’instruction avait en effet fait application de la théorie de l’infraction occulte. Cette dernière, issue d’une construction jurisprudentielle, est désormais définie à l’article 9-1 du Code de procédure pénale comme « l’infraction qui, en raison de ses éléments constitutifs, ne peut être connue ni de la victime ni de l’autorité judiciaire ». Concernant la prise illégale d’intérêts, la Cour de cassation considère qu’il ne s’agit pas d’une infraction occulte par nature et que le délai de prescription commence à courir « à compter du dernier acte administratif accompli par l’agent public par lequel il prend ou reçoit directement ou indirectement un intérêt dans une opération dont il a l’administration ou la surveillance. »[2]. La Haute juridiction admet toutefois que l’infraction puisse être dissimulée et estime alors que « le délai de prescription de l’action publique ne commence à courir, en cas de dissimulation destinée à empêcher la connaissance de l’infraction, qu’à partir du jour où celle-ci est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant l’exercice des poursuites »[3].
Suivant cette analyse, la chambre de l’instruction estimait pour plusieurs raisons que le requérant avait dissimulé la situation de conflit d’intérêts à l’égard de sa hiérarchie : premièrement, elle mettait en évidence le fait que le requérant avait révélé ce conflit d’intérêts à une partie de sa hiérarchie mais que cette information n’avait pas concerné les interlocuteurs majeurs ; en outre, elle observait que si un écrit d’information adressé à la hiérarchie n’était pas exigé par la loi à l’époque des faits, une telle preuve écrite était « cruciale pour apprécier l’existence ou non d’une dissimulation de l’infraction éventuelle » ; enfin, elle relevait l’existence d’un « pacte de silence » entre le requérant et ses supérieurs informés dans la mesure où ils avaient gardé le silence sur la question vis-à-vis d’interlocuteurs institutionnels.
Dans son arrêt rendu le 10 septembre 2025, la Cour de cassation a censuré le raisonnement de la chambre de l’instruction. Elle estimait tout d’abord que le silence gardé par l’intéressé « au surplus à l’égard de seulement certains des dirigeants des entités au conseil d’administration desquelles il siégeait, n’est pas à lui seul de nature à caractériser un acte positif constitutif d’une manoeuvre caractérisée de dissimulation au sens de l’article 9-1 du code de procédure pénale. ». Le simple défaut d’information de l’ensemble de la hiérarchie n’est donc pas de nature, par lui-même, à caractériser l’existence de manœuvres de dissimulation. Par ailleurs, elle observait que l’existence déduite par la chambre de l’instruction d’un pacte de silence ne permettait pas de caractériser un concert frauduleux destiné à empêcher la découverte de l’infraction. Enfin, l’absence d’information écrite ne suffisait pas à établir une manœuvre de dissimulation, dès lors que les supérieurs hiérarchiques avaient été informés oralement.
La Cour de cassation en a donc déduit que les dispositions de l’article 9-1 du Code de procédure pénale ne pouvaient s’appliquer que lorsqu’une dissimulation était caractérisée, celle-ci n’étant en l’espèce pas établie par la juridiction d’instruction.
Face aux spécificités procédurales que peuvent revêtir certaines infractions, il est plus que nécessaire d’être accompagné et conseillé correctement. Me DUMONT SAINT PRIEST s’engage à mettre en œuvre une stratégie de défense cohérente et efficace.
[1] Article 432-12 du Code pénal.
[2] Crim., 4 octobre 2000, n°99-85.404.
[3] Crim., 16 décembre 2014, n°14-82.939.